Témoignage sur la pédagogie inversée

Suite aux interventions que j'ai données aux IUT de Besançon et de Cachan concernant la pédagogie inversée, plusieurs collègues ont trouvé intéressant que je partage mon expérience dans les détails. Ce qui suit est propre à mon vécu et ne prétend pas établir de généralité. J'espère que ce témoignage pourra en inspirer d'autres.

Les cours magistraux. - Pédagogie inversée - Mise en place - Moyens - Pistes d'améliorations

Les cours magistraux.

Les limites des cours magistraux (CM) sont connues et partagées par un nombre croissant d'enseignants.

Le rythme du cours magistral est dicté par l'enseignant. Pourtant les étudiants n'ont pas tous la même rapidité de compréhension des nouveaux concepts. Un étudiant qui bute sur une notion en CM aurait intérêt à interrompre le cours pour demander une reformulation. Or ce n'est pratiquement jamais le cas, et si cela l'était, le cours verrait sa durée multipliée par 3 ou 4, ce qui ne semble pas concevable. Pendant ce temps le cours est dicté et l'étudiant doit s'efforcer d'accepter de ne pas comprendre un point et s'accrocher à la suite, qui bien souvent dépend du point en question. Les plus téméraires y arrivent. Les autres, la majorité, se concentrent sur quelques CM puis progressivement, laissent échapper leur attention, confortés par le fait bien ancré que de toute façon ils « comprendront en TD ». Dès lors il apparaît inutile de faire l'effort de comprendre en CM.

On a beau ajouter des artifices pour forcer les choses, l'interaction y est très difficile. Quoique l'on y face, le CM est synonyme de passivité de l'étudiant. Or l'apprentissage profond se fait en manipulant, en pratiquant, en discutant. Ce sentiment est suffisamment partagé pour qu'il soit légitime de vouloir entreprendre autre chose. Ce qui va suivre est un résumé de ce que j'ai mis en place pour les étudiants GMP de Dijon.

La pédagogie inversée.

Il existe certainement autant de formes de pédagogie inversée que d'enseignants. Le dénominateur commun de toutes ces formes est que la pédagogie inversée se décompose toujours en deux niveaux et dans cet ordre : une activité hors de la classe (avoir un travail personnel à faire chez soi) et une activité en classe (reprendre, synthétiser, discuter du premier travail en classe avec l'enseignant).

En ce qui nous concerne, nous allons littéralement remplacé les CM par une forme de pédagogie inversée qui se décompose ainsi :

  1. L'étudiant aborde les notions principales d'un nouveau chapitre chez lui (c'est son travail personnel)

  2. Le travail est consolidé et approfondi en classe, dans ce que j'appelle une activité

Toute la difficulté réside dans le choix de ce que l'on veut traiter dans ces deux niveaux : quel contenu dans le travail personnel ? Quel contenu dans l'activité en classe ? La pédagogie inversée ici n'intervient que sur le remplacement des CM. Les TD quant à eux restent inchangés et se déroulent de manière classique.

L'avantage fondamental de la pédagogie inversée est le suivant : la première partie du travail se fait individuellement, et cela permet à l'étudiant d'évoluer à son propre rythme dans la découverte des concepts. L'objectif est de mettre en place quelque chose qui rend l'étudiant actif dans son apprentissage (en opposition aux CM).

Cette pédagogie n'est pas nouvelle. Elle existe à tous les niveaux, de la classe élémentaire au plus haut niveau : en recherche par exemple, lorsque le thésard lit un article chez lui et doit le présenter devant des chercheurs associés pour en discuter.

La mise en place.

Pour fixer les idées, je me base sur le semestre 1 de GMP Dijon (les autres semestres se déroulent de manière similaire). Au cours de ce semestre 1, je découpe mon cours en 6 chapitres. En général nous abordons un chapitre tous les 15 jours. Tous les 15 jours, chaque nouveau chapitre est abordé par l'étudiant de manière individuelle.

Partie 1 : aborder un chapitre chez soi.

Cette partie est cruciale et demande une réelle réflexion de la part de l'enseignant. Malgré le nombre important d'enseignants qui se lancent dans diverses tentatives pour dynamiser leurs CM, il n'existe que peu de témoignages de pédagogie inversée à l'université. A travers d'autres témoignages, j'ai vite compris que concevoir des vidéos s'adaptait particulièrement bien à ce que je voulais mettre en place. J'ai testé plusieurs options : au départ les vidéos étaient des parties de cours. En tant que telles, ces dernières étaient relativement longues (10 min c'est beaucoup trop long pour ce genre de vidéos !), lassantes et les étudiants étaient passifs en les écoutant. Finalement ce type de vidéo, même si elle apporte un petit plus de nouveauté, n'est pas si différente d'un cours magistral, et à fortiori pas satisfaisante.

Ce que j'ai finalement retenu pour la Partie 1 est découpé en 3 étapes :

  1. Lecture du résumé du cours sur une feuille. Avant chaque nouveau chapitre, je distribue aux étudiants une feuille (maxi) contenant le cours : il doit être très succinct avec les définitions importantes, les propriétés/théorèmes importantes et éventuellement un ou deux exemples sans détail ni méthode de résolution.

  2. Vidéos exposant des méthodes. A la lecture de la feuille précédente, on rencontre des indications renvoyant à des méthodes qui sont illustrées en vidéos. Ces vidéos, au nombre maximum de 3 par chapitre, sont accessibles en ligne et ne durent pas plus de 6-8 minutes. Il est important de bien cibler les vidéos : une vidéo par méthode qui nous semble essentielle. Les méthodes sont présentées sur un exemple.

    Les intérêts : l'étudiant peut arrêter la vidéo quand il le souhaite, essayer de reprendre la méthode à son rythme, et la vidéo est un très bon moyen de réviser les méthodes avant les contrôles. On peut aussi au cours d'une vidéo illustrer géométriquement certains concepts.

  3. Le QCM (6 à 10 questions). En ligne aussi, l'étudiant doit répondre au QCM avant une date bien déterminée. Le QCM porte à la fois sur la feuille de cours et sur les vidéos. Là encore il faut bien cibler les questions en ayant en tête l'objectif que l'on souhaite tirer du QCM. Ici il ne s'agit que de s'assurer que l'étudiant a pris connaissance du contenu de la feuille et des vidéos : les questions sont simples et ne demandent pas de réflexion poussée sur le chapitre. Si l'étudiant lit la feuille et regarde les vidéos sérieusement alors il est assuré d'avoir une bonne note.

    Les intérêts : il s'agit d'abord de motiver l'étudiant à bien faire son travail. Chaque QCM apporte une note, et l'ensemble des notes des QCM est pris en compte dans une note de participation sur le semestre. Il s'agit ensuite pour l'enseignant de vérifier si les étudiants ont compris l'essentiel de la leçon. Selon les réponses apportées au QCM, on peut insister sur tel ou tel point en présentiel (lors de la Partie 2).

Le temps de travail personnel estimé pour l'étudiant se situe entre 30 minutes et 1h.

Partie 2 : activité en classe.

L'activité en classe dure 1h et se déroule en groupe de TD (et non avec la promotion entière comme en CM). Elle se décompose en deux étapes :

  1. Correction du QCM (10-15 min). Une fois la date limite passée pour répondre au QCM en ligne, l'étudiant a la possibilité de voir la correction de ce dernier. Néanmoins il apparaît très important de reprendre la correction du QCM durant l'activité, en y ajoutant des commentaires.

  2. Activité en binôme (45 min). Après la correction du QCM, je distribue une feuille que les étudiants doivent compléter. Il s'agit d'illustrer le cours et de le synthétiser à travers des exemples faciles et courts. Les exemples sont d'une autre nature que les exercices traités en TD. Ils me permettent de se familiariser avec les nouvelles définitions. On pourra éventuellement illustrer (sur des exemples toujours) des propriétés secondaires non mentionnées dans la feuille de cours. J'insiste pour que ce travail soit fait par deux : cela est très bénéfique pour l'apprentissage des maths, mais un peu trop souvent oublié.

Les TD classiques ont lieu une fois l'activité en classe passée.

Moyens nécessaires.

Outils informatiques :

Tous les outils nécessaires à la mise en place sont gratuits. Les vidéos sont tournées à l'aide d'un logiciel de screencast (qui filme ce qui se passe sur l'écran d'ordinateur) gratuit (CamStudio) : on fait dérouler un Beamer (équivalent de PowerPoint) en le commentant (micro indispensable). Les vidéos et QCM sont mis en ligne sur Plubel (plateforme Moodle de l'Université de Bourgogne), où chaque étudiant a un compte individuel. Cela permet alors un suivi très précis de chaque étudiant.

Moyens humains :

Le PPN 2013 prévoit 13h30 de CM en maths au Semestre 1. J'ai choisi de partager ces 13h30 ainsi :

De cette façon, la mise en place ne coûte pas plus cher à l'IUT. Ensuite, ce qui est très important, l'étudiant n'a pas de charge de travail supplémentaire : au cours du Semestre 1, l'étudiant qui a normalement 13h30 de CM, a maintenant

1h30 de CM (présentation) + 6h (activité) + 6h maximum (de travail personnel pour aborder la première phase du chapitre).

Passer de la pédagogie classique à la pédagogie inversée telle que mise en place ici, représente la même quantité de travail pour les étudiants.

Pistes d'améliorations.

Pour investir les étudiants davantage dans la partie 1 et les rendre un peu plus acteurs de leurs révisions, on peut leur donner la possibilité de se créer une feuille de notes (qu'ils prendraient au cours des vidéos) sur un format fixé (A4 ?). Et on autoriserait cette feuille au cours des contrôles.

Il existe de nombreuses formes de QCM. On peut imaginer laisser aux étudiants plusieurs chances sur le même QCM, et les obliger à valider au moins un certain pourcentage du QCM avant d'arriver en activité.